Monétique : «l’Afrique et l’échéance du 1er juillet 2008»
Durant deux jours, les 17 et 18 avril 2008, Marrakech a abrité la troisième édition de « Carte Afrique », événement organisé par le mensuel Economie & Entreprises et auquel Les Afrique était associé comme média partenaire.
Papa Mbaye Dieye.
Propos recueillis par Adama Wade, Casablanca
Plus de 400 opérateurs du secteur venus du Maroc, de la Tunisie, de l’Afrique de l’Ouest et de la France ont débattu des horizons possibles du développement du paiement multicanal et de l’échéance du 1er juillet 2008, dernier délai pour le passage à la norme EMV. Pour expliquer les implications commerciales, techniques et juridiques du passage à ce nouveau système réputé quasiment inviolable, nous avons rencontré Papa Mbaye Dieye, Directeur Général du Centre de Traitement Monétique Interbancaire de l’UEMOA. Entretien.
Les Afriques : Comment est né le
projet de convergence de la monétique dans la zone de l’Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ?
Papa Mbaye Dieye :
Nous avions au début fait un certain nombre de constats au niveau de
l’UEMOA, une zone composée de 8 pays partageant une monnaie unique, une
seule banque centrale, une même politique de crédit, des commissions
identiques, une harmonisation des règles de droit et, en un mot, une
zone intégrée. La Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
(BCEAO) qui a fait ces constats a proposé une réforme en trois volets
pour dépasser les carences du système financier et bancaire et mettre
en place les conditions du développement de la monétique. Le premier
volet, qui partait du constat des difficultés rencontrées au niveau des
opérations de masse (chèque) et des gros montants (transfert d’ordre
systémique), préconisait la compensation automatique des chèques.
Auparavant,
les banques se réunissaient autour d’une table et faisaient le solde
bilatéral. La compensation pouvait prendre plusieurs jours.
Aujourd’hui, un nouveau système, le SICA (Système Interbancaire de
Compensation Automatique) a révolutionné le chèque. La banque reçoit
son solde débiteur et créditeur de manière automatique. Le deuxième
volet voit le basculement des banques dans le système Star-UEMOA. Le
troisième point aborde la lutte contre la circulation fiduciaire. Un
volet important quand on sait que 95% des transactions enregistrées
dans la région se font au moyen d’espèces. Autant donc développer un
système mettant en place un instrument de paiement scriptural comme la
carte. D’où la décision de la Banque centrale de lancer un outil de
monétique régionale.
LA : Comment est-on parvenir à convaincre les banques qui avaient leur propre monétique à migrer vers le système unifié ?
PMD : Ce n’était pas évident au départ. Il y avait quelques
banques, notamment les filiales des établissements français, qui
avaient développé leur propre monétique. Mais il y avait plusieurs
problèmes liés à l’utilisation de la carte. Place de l’Indépendance à
Dakar, quand un porteur d’une carte de la banque CBAO retire de
l’argent au guichet de la Société Générale, la transaction est traitée
par Visa à partir de Londres avec des commissions de 6 euros... C’était
devenu aberrant. On a constaté ensuite que de nombreux clients
préféraient garder avec eux du cash à la maison plutôt que de faire
confiance à la carte, en raison de nombreux désagréments. Compte tenu
de tout cela, on s’est rendu compte que le frein se trouvait au niveau
des mécanismes. C’est la raison pour laquelle la BCEAO a aidé le
système bancaire à évoluer vers un système intégré.
LA : Côté technique, comment le système a été mis en place ?
PMD : Nous avons créé deux structures, la GIM-UEMOA, organe
règlementaire et normatif. Il définit les règles, les protocoles et le
mécanisme de commissionnement. Cette structure a été installée en 2003.
Deux ans plus tard, en 2005, le bras technique, le CTMI-UEMOA que je
dirige actuellement a vu le jour. La mission de cet organe est de
développer l’interopérabilité. Avant, on avait une prédominance des
systèmes privatifs.
LA : Comment conciliez-vous les niveaux de développements différents des banques de la zone ?
PMD : La difficulté vient ici du fait que toutes les
institutions ne peuvent pas aller au même rythme. Il y a une meilleure
réactivité avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire par rapport aux autres
pays. Nous avons lancé une concertation régionale pour palier. Tous les
produits seront harmonisés. Bientôt, les cartes qui seront émises
arboreront le même logo.
LA : Quels sont les services que la monétique offre aux clients ?
PMD : La monétique créé une alternative aux opérations de
guichet. La première fonction à développer est la fonction de retrait.
A partir de là, le développement du paiement par carte va suivre,
surtout si le réseau d’acceptance (commerçants) est important. Tout
cela peut être accéléré avec la technologie puce qui permet à la même
carte d’avoir plusieurs applications : programme fidélisation,
porte-monnaie électronique, crédit revolving, assurance, etc. C’est ça
l’avantage de la carte à puce. En plus de la précarité, la puce a un
algorithme beaucoup plus développé. De plus elle comporte un code
secret.
LA : Pensez-vous pouvoir certifier tous les GAB et les réseaux d’acceptation d’ici la date butoir du premier juillet ?
PMD :
Au niveau des normes EMV, il a été déjà dit que le 1er janvier 2006
devait voir l’entrée en vigueur de la « liability Shift ». Autrement
dit, en cas de fraude, c’est la partie acceptation qui supporte les
conséquences. Au niveau de l’Afrique, et dans certaines parties du
monde, ce délai a été prorogé au 1er juillet 2008. D’ici là, tous les
équipements, les GAB et les TPE devront être aux normes des TPE. Dans
la zone UEMOA, l’application de cette norme avait été freinée au
départ, car certaines banques travaillaient avec d’autres cartes. Nous
ne voulions pas les bousculer. Aussi, on a procédé par étapes, en
basculant d’abord le parc des cartes bancaires existant dans
l’interbancarité. Le basculement dans le système des cartes à puce
devrait se faire progressivement lors du renouvellement des anciennes
cartes... Remarquez que la migration des TPE et des autres GAB peut ne
pas nécessiter le renouvellement global de l’équipement, mais un
système de configuration. Le problème, là aussi, c’est que, compte tenu
de certaines spécificités, cette configuration peut revenir parfois
plus cher dans certains cas que l’acquisition d’un nouveau GAB ou TPE.
« Place de l’Indépendance, à Dakar, quand un porteur d’une carte de la banque CBAO retire de l’argent au guichet de la Société Générale, la transaction est traitée par Visa à partir de Londres avec des commissions de 6 euros... »
LA : Le réseau d’acceptation constitue
l’un des maillons faibles de la monétique en Afrique de l’Ouest ;
Comment comptez-vous y remédier ?
PMD : C’est vrai, le parc de GAB et de TPE n’est pas très large.
Il y a certes des banques qui disposent des GAB. D’autres n’en jugent
pas encore l’utilité ou n’ont pas les moyens. Je dirais qu’en moyenne
on trouve un GAB actuellement tous les 10 à 20 km. Ce sont des
distances énormes qui ne favorisent pas la liquidité des cartes
monétiques.
LA : Qu’en est-il aujourd’hui des commissions sur les transactions en Afrique de l’Ouest ?
PMD : Au niveau régional, un mécanisme de commission domestique
est adopté dans tout l’espace UEMOA. Les transactions effectuées entre
ces pays sont considérées comme locales. La commission qui était de 6
euros passe à 1000 FCFA (2 euros environ). En outre, les banques,
fédérées autour du système, bénéficient d’un pouvoir de négociation
plus important auprès des fournisseurs, d’une centrale d’achats et
d’une mutualisation des coûts. Nous arrivons à négocier à de bonnes
conditions de prix. De plus, les transactions sont canalisées par un
réseau VSAT sécurisé avec une bande passante suffisante. Nous n’y
faisons passer que du flux monétique pour éviter d’éventuelles
saturations.
LA : Comment avez-vous résolu le problème des compensations ?
PMD : Les solutions ont beaucoup évolué sur ce point.
Aujourd’hui, toutes les transactions faites en FCFA doivent être
compensées en FCFA le même jour. L’opérateur Visa continue quant à lui
à compenser en dollar les transactions faites en FCFA. Vu le niveau
actuel de la monnaie américaine, la perte liée au change est évidente.
LA : Pourquoi seule une partie des 100 banques de l’UEMOA ont adhéré à votre système ?
PMD : Sur les 74 banques qui ont adhéré à notre système, 14 sont
entrées en production. L’objectif est d’arriver au nombre de 35 à la
fin de l’année. Pour que la monétique
se développe davantage, un coup de pouce serait nécessaire de la part
des autorités qui peuvent encourager par exemple l’instauration des
cartes salaires.
LA : A terme verra-t-on une fusion des systèmes monétiques entre l’UEMOA et la CEMAC ?
PMD : Ces deux régions présentent, il est vrai, de nombreuses
similitudes. Nous avons la même monnaie mais les billets sont
identifiés d’une autre manière, je pense que l’intégration devrait
aller beaucoup plus loin et englober le Maghreb, le Kenya, le Malawi et
l’Afrique du Sud. Avec un tel ensemble, l’Afrique aura sa propre carte
unifiée, synonyme de moins de contraintes dans les opérations
commerciales et les transactions en général. L’Europe des paiements est
en train de se faire. L’Afrique ne doit pas rester à la traîne.
(Source: LesAfriques.com, 24 avril 2008)